Une ouverture de festival dédiée à l'importance d'une conception des services numériques consciente des enjeux éthiques - par Alizée Colin

Le 26 mai dernier, le DevFest de Lille, festival de conférences dédiées à la tech, m’a offert l’opportunité d’inaugurer son festival par une intervention. Je disposais de trente minutes pour sensibiliser aux manquements éthiques du numérique.  

Face à moi, un parterre de développeurs, architectes, chefs de projets et designers. Ma présentation s’est concentrée sur la prise de conscience nécessaire concernant l’influence des big tech sur notre façon de concevoir les services numériques au quotidien. En effet, nous sommes de plus en plus conscients de leur impact sur les utilisateurs, mais nous accordons moins d'importance à leur influence sur les concepteurs. Pourtant, nous avons-nous-même une double responsabilité, ou double peine : en tant qu’utilisateurs, mais aussi en tant que potentiels créateurs, nous sommes susceptibles d’être inconsciemment responsables de la création d’addictions. 

Toutes les externalités négatives que nous connaissons (anxiété, surcharge informationnelle, surconsommation…) naissent de la structure-même de l’économie numérique. Celle-ci étant basée sur le modèle capitalistique que nous connaissons tous, les géants et les petites entreprises ne dérogent pas à la règle, puisqu’elles souhaitent elles aussi engranger du profit. La donnée, ou plutôt la big data, propre à nos modes de consommation, est devenue l’or noir de notre siècle. C'est pourquoi chaque entreprise du secteur numérique aspire à collecter un volume maximal de données. Pour y parvenir, elles dépendent de deux éléments essentiels : notre attention et les failles de notre cerveau (nos biais cognitifs).  

Les méthodologies de conception visant à exploiter ces deux éléments sont depuis plusieurs années au cœur des services numériques que nous créons : c’est ce qu’on appelle le design d’attention et le design de persuasion. Et elles ne concernent pas que les réseaux sociaux et les big techs. Les petites entreprises elles aussi utilisent ces méthodes de conception. Nous avons tendance à concevoir des interfaces trompeuses plus fréquemment que ce que nous ne le pensons. En effet, ces méthodes ont tellement été légitimées qu’elles se sont immiscées dans nos métiers pour devenir la norme.  

Bien heureusement, nous pouvons décider de concevoir un numérique émancipé de la vision des géants de la tech, en osant requestionner l’existant. Comment ? En se posant les bonnes questions et en remettant en question les objectifs finaux, les indicateurs et les moyens de les atteindre.  

 Retour sur l’évènement  

Le but premier de cette intervention était pour moi de leur exposer la possibilité de modifier nos façons de concevoir, et que ces paroles aient un impact significatif sur le plus grand nombre de participants possible.  

Les retours que j’ai reçus furent particulièrement gratifiants. Plusieurs participants m’ont évoqué une « belle prise de conscience », et notamment en reconnaissant le fait que nous avions tous un rôle à jouer dans cette machine addictive. Des graines ont été semées, en espérant qu’elles germent en un numérique émancipé des influences des monopoles.  

Je tiens également à souligner ma surprise lorsque j’ai été invitée à participer à ce festival. Il est inhabituel de confier à une jeune femme sans profil technique le rôle d'ouvrir la journée en abordant un aspect global de la conception, qui s'éloigne donc de la technique pure. Cependant, cette approche a été bien accueillie, d'après les premiers retours reçus. 

Ce n’est pas la première année que le DevFest Lille ose aller plus loin en s’engageant sur des thématiques actuelles. Depuis plusieurs années, l'accessibilité aux personnes en situation de handicap sont au cœur de l'organisation (physique comme virtuelle) de l'événement. En plus des thématiques sociales, l'événement dédié au numérique laisse également une place notable à une démarche environnementale, tant dans son organisation que dans son programme, ce qui est extrêmement gratifiant à observer.

En résumé, ces quelques heures au DevFest Lille 2023 ont été :  

• 30 minutes de prise de conscience 
• Des heures de stress pré-conférence 
• Un replay par ici, retranscrite pour les malentendants : https://www.youtube.com/watch?v=MxQD5UQ3JwM  
• • 1000 professionnels sensibilisés 
• Une équipe d’organisation aux petits oignons 
• Une bière floquée au nom de l’événement bien appréciée